Concerts

16
fév
2017

Spanish Jazz Project @ Jeudis du Jazz

Jazz / Musique du monde / Littérature • 20:00

S’il est bien une musique qui a pu facilement assimiler l’empreinte d’autres cultures, c’est le jazz. Tout d’abord par ses rythmes syncopés issus du cœur de l’Afrique. Ensuite, au fil du temps, par l’apport constant d’autres influences. Que ce soit du Brésil avec la bossa nova, du rock avec le rhythm and blues ou la fusion, ou encore des folklores de nombre de pays, les musiciens de jazz ont toujours laissé grande ouverte la porte aux cultures de toutes origines.

C’est le cas du quartet de Michel Mainil. Rôdés aux expériences les plus diverses, ils se sont cette fois orientés vers un répertoire résolument tourné vers la culture hispanique. Leur rencontre avec la jeune et talentueuse Lisa Rosillo n’y est pas étrangère.

Ainsi, de Guantanamera à Quien Sera, des classiques du cinéma latino américain à Almodovar en passant par un témoignage des chants révolutionnaires de la Guerre d’Espagne, le groupe nous dresse une esquisse tout en couleur et aux accents jazzy de la langue la plus chantante qu’il soit.


Critique de l'album "Spanish Jazz project" par Pierre Dulieu :

"Le jazz vocal, surtout féminin, a ceci de prodigieux: il balaie d'un revers de refrain toutes les appréhensions qu'un mélomane peut avoir face au jazz. Une voix a ainsi le pouvoir d'extraire un combo de son environnement élitiste et de lui assurer une écoute plus large hors de sa catégorie habituelle. Si la musique est bonne bien sûr. Mais en s'associant avec la chanteuse Lisa Rosillo et en choisissant d'interpréter un répertoire de chansons hispaniques, Michel Mainil a mis en plein dans le mille. Non seulement, Lisa Rosillo pose sa voix profonde avec autorité sur la musique mais elle enthousiasme par sa justesse et son expressivité sans parler de son phrasé exotique élevé au biberon du flamenco qui fait passer des rayons de soleil à travers les volets.

Le répertoire comprend quelques standards inévitables dans un tel contexte (Guantanamera et Besame Mucho) mais aussi d'autres titres moins connus et fort bien choisis comme C'est Irréparable (Un An D'amour / Un Ano De Amor) de Nino Ferrer ; le traditionnel El Quinto Regimiento (Le 5ème Régiment) dédié à l'instrument de lutte contre le fascisme fondé par Parti Communiste espagnol ; le méconnu Angelitos Negros (Anges Noirs), à l'origine un boléro composé par le Mexicain Manuel Alvarez Maciste autour d'un poème vénézuélien contre la discrimination raciale ; la célèbre chanson Sabor A Mi (Le Goût De Toi) du Mexicain Alvaro Carillo qui fut repris dans le film d'animation Chico & Rita ; Piensa En Mí (Pense à Moi) composé en 1937 par le Mexicain Agustín Lara et inclus dans la bande sonore du film Talons aiguilles de Pedro Almodóvar; et enfin le superbe Hasta Siempre (Pour Toujours) écrit en 1965 par Carlos Puebla en hommage au Che et à la révolution cubaine.

Heureusement, le piège des tapis de cordes et les clichés qui en découlent ont été évités et c'est bien un vrai groupe de jazz qui officie derrière la chanteuse. Les interventions du pianiste Alain Rochette sont lumineuses (écoutez-le jouer sans rythmique sur El Quinto Regimiento) tandis que le saxophone baryton du leader se glisse avec sensualité dans l'univers envoûtant de ces chansons latines, semant le trouble avec une ferveur entêtante et cette énergie libertaire qui enflammait jadis les chorus de Coltrane et Rollins. Beau travail aussi d'Antoine Cirri à la batterie, qui gronde ou caresse avec un art consommé de la percussion féline, et du contrebassiste José Bedeur qui n'hésite pas à jouer de l'archet quand c'est nécessaire comme sur le poignant Angelitos Negros. Ce Spanish Jazz Project n'a rien à voir avec certaines œuvres latines aseptisées que beaucoup de jazzmen enregistrent pour des raisons commerciales. Ici, la passion, l'émotion et le saudade vibrent sous chaque note tandis que la musique s'étire en un long souffle coloré. Il faut dire que ces mélodies hispaniques charrient une profonde nostalgie souvent connectée à des pans d'histoire tragique (Charlie Haden l'avait bien compris lui qui en réutilisa quelques unes en 1969 dans le cadre de son propre activisme politique). Cela vous donne même envie de connaître le message de ces anciennes chansons revisitées avec une étonnante fraîcheur. Bref, on sort bouleversé de l'écoute et tout le monde le sait : quand le charme d'un disque opère, c'est qu'il a quelque chose de magique !"

Pierre Dulieu :  www.dragonjazz.com

Le 16 février 2017
La Posterie Centre culturel de Courcelles ASBL
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8 €